Samuel Dutacq

Réplication

Un jour, Simone en eut assez de tomber amoureuse d’hommes qui n’étaient pas libres, en particulier lorsqu’ils sortaient avec des amis à elle. Rêveuse, elle se dit un jour : « Ah, s’il pouvait y en avoir deux comme lui, un pour elle, un pour moi, cela faciliterait grandement les choses et il n’y aurait plus lieu d’être jalouse. »

I.

 

Un jour, Simone en eut assez de tomber amoureuse d’hommes qui n’étaient pas libres, en particulier lorsqu’ils sortaient avec des amis à elle. Rêveuse, elle se dit un jour : « Ah, s’il pouvait y en avoir deux comme lui, un pour elle, un pour moi, cela faciliterait grandement les choses et il n’y aurait plus lieu d’être jalouse. ».

Alors, elle qui était une grande inventrice conçut une machine reprenant le mécanisme des télépodes : ces cabines qui permettent, dans La Mouche, de téléporter les êtres vivants ou non-vivants.

Comment fonctionne le télépode ?

On place dans une cabine la chose ou l’être que l’on souhaite téléporter. Un ordinateur analyse la composition de cet être afin de pouvoir le reconstituer dans la cabine de destination. Lors du processus de téléportation, l’organisme est déconstruit dans la première cabine, puis reconstruit dans la seconde. Les deux sont reliées par des câbles.

Quelle modification veut apporter Simone à ces télépodes ?

L’idée est de remplacer l’unique télépode de destination par deux télépodes, afin de recréer deux clones à partir d’un seul organisme. Et pour pallier à la perte de matière organique, chacun de ces télépodes disposerait d’un stock d’atomes nécessaires à la constitution d’un être humain.

Comme vous avez pu le constater, le principe semblait très simple, et Simone, étant un être aventureux dans le domaine des sciences, n’avait peur de rien. Sa plus grande difficulté fut de convaincre Bernard, l’homme qu’elle aimait, de se livrer à cette expérience risquée. Il lui fallait faire preuve de beaucoup de tact. elle entama la conversation ainsi :

— Tu as vu La Mouche ?

— Le film ? Non, pourquoi ?

— Eh bien, ne le regarde pas, ce n’est pas un bon film…

— Oui d’accord, mais pourquoi tu m’en parles ?

— Boh, pour rien… Sinon, ça va ?

Au moins, il n’avait pas vu La Mouche. Si cela eût été le cas, il eût été impossible de le convaincre, même si, bien entendu, Simone avait pensé à tout et évacué tous les risques de contamination par un organisme intrus.

— Tu sais, j’ai pensé à un truc… une expérience d’un genre assez particulier… enfin, il ne faut pas que tu en parles, c’est top secret.

— Tu me fais peur, qu’est-ce que tu as inventé, encore ?

— Je ne peux pas t’en parler ici, mais si ça te dit de passer chez moi, je pourrais te montrer sur quoi je travaille.

— Ouais… pourquoi pas.

— C’est quoi ces machins ?

— Ce sont des téléduplicapodes.

— Ah…

— Tu ne veux pas que je t’en dise plus ?

— Ben moi, tu sais, tes expériences bizarres, j’y comprends pas grand-chose. Il faut que tu me montres.

— J’y viens. Mais avant, il faut que tu entres dans cette cabine-là.

— Mais elle est minuscule !

— T’inquiètes, c’est comme une capsule spatiale, ou un sous-marin, tu vas voir.

— Ah… bon d’accord. Mais après tu me laisses tranquille hein !

— Ben oui, tu ne crois pas que je vais t’enfermer ici, avec moi !

— Tu aimerais bien…

— …

— Bon allez, comment ça marche, ce truc ?

— C’est assez simple, d’abord, tu te déshabilles, sinon ça ne fonctionne pas correctement.

— Arrête, je commence à trouver ça louche.

— Mais si, fais-moi confiance.

— Bon…

— …

— Maintenant, je rentre dans le truc, et ensuite ?

— Ensuite, je ferme la porte. Ça ne va pas durer très longtemps. Voilà.

Dans le monde réel, Bernard se serait méfié, mais cela aurait rendu l’histoire plus compliquée, alors bon, disons qu’il accepte de se déshabiller et de rentrer dans la cabine en ignorant tout de l’expérience dont il est le cobaye. C’est une aubaine pour Simone, qui s’empresse de mettre la machine en marche avant qu’il ne change d’avis. Tout fonctionne comme prévu. Bernard est déconstruit par la première cabine, et quelques secondes plus tard, reconstruit en deux exemplaires dans les deux autres cabines. Simone active l’ouverture des portes. Dans une synchronisation parfaite, les deux clones sortent de leurs cabines respectives et se retrouvent, nus, l’un en face de l’autre, et Simone au milieu, satisfaite du bon déroulement de l’opération.

— Mais

— Mais

— C’est moi

— C’est moi

— Qu’est-ce que t’as fait Simone ?

— Qu’est-ce que t’as fait Simone ?

Simone ne sait pas trop où donner de la tête. Lequel regarder ? À gauche ? À droite ? Aucun doute, ils sont absolument identiques. Elle ne sait pas quoi dire. Tous deux commencent à se sentir gênés par leur nudité, alors ils décident de récupérer leurs vêtements. Celui qui en était le plus proche enfile un slip. L’autre profite de ce moment d’inattention pour accaparer tous les autres vêtements. Simone est assez troublée. C’est une situation si étrange et inédite. À partir de cet instant où l’un est presque nu et l’autre presque habillé, leurs attitudes et leurs discours divergent.

— Simone, dit celui en slip, tu n’aurais pas des vêtements à me passer ? C’est pas que ça me déplait de rester comme ça, en slip, dans ton appartement, mais il fait un peu frisquet.

— Bon, je vais vous laisser, dit l’autre, qui n’a pas envie de demander une de ses culottes à Simone.

Simone laisse celui-ci partir et s’éclipse un instant. Elle revient avec un vieux jogging et un sweat à capuche qu’elle tend à celui qui est resté.

— Merci, c’est gentil. Mais je vais peut-être rentrer maintenant…

— Rentrer ? Mais pourquoi ? Comment ? Rentrer où ?

— Retrouver ma femme…

— Ah… mais… enfin… mais ta femme, enfin sa femme, elle est avec lui, enfin…

— Comment ça, lui ?

— Toi… mais l’autre toi.

— Attend attend, j’y comprends rien !

— C’est pourtant bien simple. Au départ, tu étais unique, et en entrant dans la machine, tu t’es dupliqué.

— Tu m’as dupliqué ? Mais c’est grave ce que tu viens de faire…

— Je sais, mais…

— Mais quoi ? Je t’aime beaucoup, Simone, mais tu es folle… vraiment folle.

— Une folle ? C’est la seule chose que tu vois en moi ?

— Non, tu le sais bien. Mais je ne comprends pas, comment tu as pu faire une chose pareille ?

— C’était devenu insupportable… je… je te… tu… enfin, toi avec elle, elle avec toi, et moi sans toi… ah… comment pouvais-je accepter ça ?

— Mais Simone ? Pourquoi tu ne m’as jamais rien dit ?

— C’était foutu d’avance… non, pas possible… mon amie, ma propre amie… On ne pouvait pas se… te… partager, enfin tu vois, quoi ! Alors je me suis dit que si tu étais deux, tu pourrais être à la fois avec elle et avec moi… t’as pas envie d’être avec moi ?

— Mais si, mais je… enfin je ne sais pas, il faut que je remette mes idées en place. Je l’aime, elle, et ça me ferait très bizarre de la voir avec lui, enfin moi, de la voir avec moi tout en n’étant pas avec moi… ah… rien que d’y penser ça me donne mal au crâne.

— Même moi je n’y comprends plus rien. Tu ne crois pas que tu devrais te reposer un peu… on réfléchira à tout ça demain.

Bernard ne dormit pas. Comment aurait-il pu ? Une question restait sans réponse, resterait pour toujours sans réponse :

Lequel était le double de l’autre ?

 

 

II.

 

Simone avait réussi. Grâce à son génie technologique, elle avait su dupliquer l’homme qu’elle convoitait, et ainsi, tout le monde était content. Elle envisageait déjà la commercialisation de ce procédé. Cela règlerait un grand nombre de problèmes, se disait-elle

Après avoir déposé le brevet du téléduplicapode, Simone créa une start-up à son propre nom afin de commercialiser son invention sous la marque Replicator. L’invention eut un succès considérable. Encouragée, elle mit au point deux autres versions : le Replicator X, permettant la création de trois clones, et le Replicator XL, permettant la création de six clones. Cette dernière version eut un impact considérable sur la météo. Les tornades et ouragans se multiplièrent partout et firent un nombre considérable de victimes. Cela permit de rééquilibrer un peu la population, qui avait crû d’une manière exponentielle depuis la commercialisation des Replicator X et XL.

 

 

III.

 

Souvent l’on désire ce que l’on n’a point. Ainsi, Simone, qui continuait à fréquenter son amie, qui s’appelait Denise, en vint à désirer fortement Bernard, le compagnon de celle-ci. Elle avait fini par se lasser de Bernard, qu’elle voyait tous les jours. Mais quand elle voyait Bernard, c’était autre chose. Bernard était négligent, Bernard était coquet. Bernard faisait souvent la tête, Bernard était guilleret. Bernard. Bernard. Bernard. Elle n’avait d’yeux que pour Bernard. Et Bernard, s’en apercevant, en conçut un profond ressentiment, et entreprit de se rapprocher de son ex, Denise. Cependant, Bernard, qui était avec Denise, n’était pas intéressé par Simone. Aussi, il refusa de se livrer, à la demande de celle-ci, à une seconde duplication. La situation de Denise devint pesante. Elle aimait Bernard, mais elle chérissait Bernard. Aussi, elle n’eut bientôt plus d’autre choix que de se dupliquer elle-même afin de pouvoir entretenir une relation avec l’un et avec l’autre. Et comme Denise était quelqu’un de prévoyant, elle fit appel au Replicator XXL, le tout dernier modèle, qui ne générait pas de tempêtes, mais dix clones tous neufs.

Denise ne pouvait se contenter de vivre, elle voulait vivre encore, aller partout, goûter à tout, coucher avec tous les hommes de la Terre, et douze clones, ce n’était pas de trop pour assouvir sa soif d’aventures. Cependant, Simone constituait une menace de taille. Denise conçut donc d’éliminer Simone, avant que celle-ci ait eu le temps de se dupliquer. Mais elle arriva trop tard. Simone était passée plusieurs fois dans le Replicator XXL, et elle était prête à en découdre. Et ce n’était pas Bernard, ni même Bernard ou Bernard qui allaient les empêcher de régler ce problème à leur manière. Il y eut un affrontement terrible. Simone frappa la première, mais fut très vite neutralisée par Denise et Denise. Denise, Denise et Denise s’attaquèrent à Simone et Simone, tandis que Simone, Simone et Simone contournaient Denise, Denise, Denise, Denise et Denise afin de faire diversion, pendant que Simone, Simone, Simone et Simone en profiteraient pour se faire répliquer. Simone avait mis au point, en secret, un prototype, le Replicator Imperator. Cette version ultime possédait quatre cabines d’entrée pour une cabine de sortie. Elle permettait la fusion de quatre clones, dans le but de créer un superclone doté de huit bras et jambes et de quatre têtes. Une arme de destruction massive. Mais elle n’était pas la seule à avoir mis au point une telle machine. Monique, une amie de Denise, était parvenue à modifier un Replicator XXL de façon à inverser le processus. Les dix cabines de sortie devaient recevoir les clones de taille standard. La cabine d’entrée avait été modifiée afin d’accueillir une créature de la taille d’un éléphant, possédant vingt bras et jambes et dix têtes. Mais il fallait créer une autre machine assez spacieuse pour ces nouveaux monstres vintipèdes, et seule Simone en était capable. Comment l’en empêcher maintenant que Simone était partout ? Il fallait mettre au point un virus simonicide. Ils firent donc appel à Nicole, une des plus grandes spécialistes des maladies infectieuses. Entre-temps, Bernard, Bernard, Bernard et Bernard s’étaient ligués pour lutter contre l’hégémonie grandissante des Simone et des Denise. Mais ils n’avaient pas le génie diabolique de Simone ni la soif de pouvoir de Denise. Aussi, ils ne purent lutter bien longtemps et préférèrent s’exiler aux Bahamas pendant que l’Europe, à feu et à sang, se partageait entre l’est et l’ouest, le camp des Simone et le camp des Denise, avec au-dessus de leurs têtes, la menace de l’anéantissement de tous.

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